Cette année (2020) j’ai demandé aux étudiants de présenter le travail d’un·e artiste qui emploie la sérigraphie. Voici la présentation de Rose par Marine Phouthavy.


Qui est-elle ?

Rose s’est faite piquée par le moustique de la sérigraphie lors d’un workshop à l’université en France, elle décide de venir à Bruxelles pour continuer à développer sa créativité au 75 avant de quitter cette école pour rejoindre finale-ment les Beaux-arts de Bruxelles.
Son art engagé et percutant retient l’attention de quiconque pose son regard sur ses affiches qu’elle colle à la volée dans les rues et les métros de Bruxelles.
L’indignation est bien plus qu’une opinion ou qu’un ressenti chez Rose, c’est aussi son moteur de création.

Elle fait partie de cette génération d’artiste qui n’hésitent pas à poser leur doigt là où ça fait mal et qui nous font réagir face aux injustices du monde moderne que ce soit la déforestation, le racisme, les guerres ou le patriarcat. Là où il y a un combat à mener pour l’humain, Rose se sert de son art pour le faire connaître !
Je me suis entretenue avec elle ce 8 mai chez son petit-ami Victor, lui aussi étudiant sérigraphe aux Beaux-arts de Bruxelles.

L’entretien

Salut Rose ! Comment définirais-tu ton travail sérigraphique ?

Engagé, engagé niveau militantisme, niveau humain, je m’indigne, j’aime m’indigner. Dès qu’il y a quelque chose que je veux dire je le dessine, je me défoule sur le papier. Mon travail c’est mon exutoire en gros. Tout ce qui grouille tu le mets dans ton taff, tu te vides. En plus ce qui est génial avec la sérigraphie c’est cette possibilité de faire plusieurs exemplaires du coup tu diffuses beaucoup mieux, d’un coup tu as plusieurs voix, c’est comme un super mégaphone !
Mais bon, je dirais quand même que mon travail comporte 2 facettes : y a la facette que je fais à chaud, je fais les choses cash, je crée du brut de décoffrage. Dans cette facette là je suis plus percutante voir un peu bornée (rires), je crée et dis les choses comme elles me viennent.
Puis il y a la facette où je suis à l’aca (Académie des Beaux-arts de Bruxelles) où la je réflechis un peu plus à l’esthétique de l’affiche, je me calme, je suis moins énervée, je cherche à faire passer des messages de manière plus… Douce et réfléchie, mon travail est moins «abrupt».
Je pense que ce côté plus «délicat» peut amener les gens à regarder plus facilement mes affiches, s’ils voient direct une affiche «FUCK EVERYTHING» ouais, ils vont être moins enclin à regarder, ils vont se sentir agressés quoi (rires) !
Mais au fond quand je travail je le fais dans un premier temps pour moi puis j’espère que les autres vont s’indigner avec moi.
Je colle des affiches dans la rue et le métro à Bruxelles, là j’essaie aussi de faire passer les messages plus «délicatement» pour pas que mes affiches se fassent arraché directement. Par exemple la dernière fois avec une amie et Victor on est allés coller des affiches dans le métro, ma pote c’était sur le féminisme, Victor c’était des créatures hybrides mythologiques et moi c’était sur la situation en Syrie.
C’était super car on les as collées côte à côte et du coup les gens étaient direct intrigués et les messages sont bien passés, le regard des gens voyageait sur les affiches, elles ont pas été arrachées, ça fait plaisir de voir ça.
En fait quand je dois définir mon travail j’aime bien dire Mai 68 des temps modernes (rires), je sérigraphie pour l’indignation commune, je fais passer des messages qui je l’espère permettront aux gens de libérer la parole ou au moins de faire réfléchir quand on croise une de mes affiches.

Dans ta manière de préparer les images, est-ce que c’est tout préparé et cadré à l’avance ou est-ce qu’il y a une part de réflexion pendant le tirage. Y a-t-il place à l’improvisation ?

Oui, totalement, je laisse place à l’improvisation ! Comme je l’ai dis avant ce qui est génial en sérigraphie c’est que tu peux imprimer la même image à l’infini dans le principe.
Ce que je fais souvent c’est que je reviens redessiner par dessus mes tirages après coup, l’image n’est pas forcément terminée une fois qu’elle est imprimée, je reviens la moduler et ajouter ou enlever des choses, c’est malléable, c’est génial !

Du coup je dirais pas que je viens réfléchir sur l’affiche pendant l’impression mais plutôt après coup. Et puis des fois on imprime en se disant que ça va être top mais en fait on arrête au bout de deux passages (rires) c’est ça la sérigraphie !

J’ai cru comprendre que tu avais toi-même ta petite station de sérigraphie chez toi, et que Victor à son carrousel pour l’impression textile dans le salon aussi, comment as-tu trouvé ce matos et comment l’as-tu installé ?

Alors oui, moi j’ai juste une station papier, c’est vraiment juste une bête table rafistolée avec une latte de bois et des charnières comme la porte d’entrée là !
C’est que de la récup’ franchement c’est tout bête mais ça fait le taff (rires). J’ai aussi une station d’insolation avec un halogène de chantier que j’ai acheté et un cadre de table en fer avec une plaque de plexiglas à la place de la planche de bois sur laquelle on mangerait d’habitude, j’ai trouvé ça dans la rue aussi !

Et toi Victor ?

Ce carrousel je l’ai acheté genre 280€ et des poussières, c’est vraiment de l’entrée de gamme, avant j’avais une autre station mais avec une tête unique, je pouvais faire que un passage si-non c’était une horreur pour les calages, là maintenant j’ai plu-sieurs têtes et elles tournent, c’est vraiment top, j’ai fixé tout ça à ma table en bois et hop ! On peut imprimer !

Schéma de la station papier de Rose.
Le carrousel de Victor

Du coup Rose, comment le fait d’avoir ton propre petit atelier de sérigraphie chez toi à changé ta manière de travailler ?

LIBERTÉÉÉÉÉÉÉÉ ! Quand j’ai quitté le 75 (école d’art Bruxelloise) où je faisais de la sérigraphie, je me suis mis en tête que j’allais avoir mon propre atelier.
Du coup j’ai bossé, j’ai économisé pour m’acheter des cadres, des encres etc et j’ai ouvert ma petite station ! Ça a changé ma vie. C’est tellement cool de te lever le matin et de te dire «Tiens j’ai envie d’imprimer là tout de suite» et tu peux le faire, c’est tellement libérateur !

T’es plus dépendant d’une structure ou d’une école, j’ai l’impression parfois d’être une petite artiste clandestine qui imprime ses affiches d’indignation dans son atelier, comme à la résistance (rires).
De toute façon mon prof dit toujours que le plus important pour un artiste c’est d’avoir son atelier, et je pense qu’on est tous d’accord sur ce point-là.

As-tu des techniques préférées en sérigraphie ? Des supports imprimables avec lesquels tu aimes travailler par exemple ?

Là quand j’y réflechis j’aime beaucoup imprimer sur du verre, la transparence donne une nouvelle dimension à ton impression, tu peux vraiment jouer avec ça c’est top.
Là cette année à l’Aca on nous as demandé de créer des vitraux en sérigraphie, j’ai choisi de m’inspirer des gros bâtiments en URSS qui sont de gros blocs pleins de vitres bien massifs, j’ai décidé de mettre plein de gens dans des petits vitraux en blocs, j’ai dessiné les corps finement à l’encre de chine, la sérigraphie permet ce genre de petits détails tout fins, c’est pas quelque chose que tu peux avoir dans n’importe quelle technique d’impression d’images.
Façon avec la sérigraphie tu peux imprimer sur tout : papier, textile, tôle, verre et même sur les avions, leurs logos c’est de la sérigraphie ! Bon c’est pas les mêmes encres que le papier évidemment (rires) mais c’est de la sérigraphie ! Tu peux vraiment tout faire c’est fou.
J’aime bien aussi faire mes typons à la main, c’est le bordel, c’est mal calé mais j’adore ça, j’apprécie vraiment l’erreur du fait main, et t’es vraiment plus proche de la matière, tu la perçois mieux et donc tu la travailles mieux. Genre les feutres usés, la texture se voit beaucoup mieux quand c’est à la main plutôt qu’à l’ordi je trouve. J’adore la sensibilité et la spontanéité du fait main, faut laisser place à l’erreur dans la création !

Quelles sont tes inspirations en sérigraphie ou artistiquement en général ?

Tomi Ungerer, c’est bateau mais c’est vrai (rires) son taff est gé-nial, c’est super engagé et impactant, tout ce que j’aime.
Sinon j’avoue que là j’arrive pas à te sortir d’autres noms, en plus j’suis sûre que ça me reviendra sûrement quand tu seras repartie à tout les coups, désolée (rires) !

«EAT» de Tomi Ungerer. 1967.

As-tu des projets futurs ? Des choses que tu aimerais faire plus tard ?

Un énooorme vitrail, taille humaine quoi !
Sinon y a pas mal de résidences d’artistes qui font des appels à projets , j’aimerais bien y participer, découvrir des choses, des copains artistes et mener à bien mes projets.
La sérigraphie ça peut coûter rien comme ça peut coûter cher, si tu choisis d’imprimer sur de la tôle par exemple, ça va te coûter une blinde direct ! Les résidences d’artistes elles t’offrent cette opportunité de faire naître tes idées que t’aurais pas pu financer sans elles, c’est top.

Ce serait vraiment le rêve, t’es payé pour créer et tu rencontres pleins de gens super cool.
Y a de super bonnes résidences en France, dans la campagne, tu bosses puis tu vas te promener dans les champs avec le chant des oiseaux (rires), ouais je dirais que c’est un de mes projets pour l’instant, intégrer une résidence d’artistes… Et puis aussi faire des discours engagés à l’ONU (rires) !

Typons pour un projet sur le confinement qui sera imprimé sur du verre.

Pour terminer sur une note rigolote, dis moi quelle est ta bière préférée !

Aaaah euuuuh, la Joy Jungle ! Non ! La Zinnebir ! Ouais la Zinne-bir c’est vraiment trop bon, mais j’en trouve nul part avec le confinement (rires) !

Je remercie chaleureusement Rose, Victor et Max de m’avoir accueilli chez eux le temps d’une après-midi pour ce petit entretien autour d’une jupiler !
J’espère que cet article vous aura donné envie d’aller suivre le travail de rose ( @junk_whisky sur Instagram), n’hésitez pas à lâcher un follow et merci de m’avoir lu !
Marine Phouthavy.